Le récit est un objet dont l’étude requiert les efforts de plusieurs sciences sociales : la psychologie, car il nous parle des ressorts de l’action et invite notre compréhension ; la sociologie, puisqu’il consigne les raisons et les façons de faire des agents et des institutions ; l’anthropologie, qui l’étudie directement afin de dégager les catégories de l’entendement dans une société ; le droit, qui juge de la responsabilité et de la culpabilité à partir d’un récit des actions ; l’économie, qui cherche les modèles des transactions sociales afin de prévoir leurs effets à grande échelle ; la narratologie et la philosophie de l’art, dont l’effort vise à identifier les grandes variables du modèle narratif ; l’histoire, les sciences politiques, celles de la communication et de l’éducation, enfin une variété d’études interdisciplinaires, qui évaluent l’impact des moyens employés par l’acte de gouverner, par l’interaction éducative, les médias, la conversation, le récit de vie, etc. Sans pour autant réifier le concept de récit et sans le présumer identique à lui-même dans toutes ses formes, on peut s’interroger si tout ce que nous appelons narration est soumis à un ensemble unique de contraintes ou bien forme une « famille de ressemblances ». On peut également se demander si narration et discours ne sont pas des formes réciproquement convertibles de la pensée.
Dans l’étude des effets de l’action humaine sur la société, on s’est aperçu que des différences mineures de l’état initial lors de l’application des mêmes procédures mènent à des résultats extrêmement divers. On y reconnaît la dépendance au sentier, path dependence, qui n’est pas limitée aux sciences sociales. L’hystérésis et le flux thermique sont des exemples de dépendance au sentier en physique ; l’évolution biologique fournit de nombreux autres exemples. Différentes recherches sont arrivées indépendamment à reconnaître l’importance d’un concept qui autrefois n’avait pas droit de cité dans la science : la contingence. L’émergence dans les systèmes complexes s’explique parfois par l’intervention de phénomènes contingents. Si tous les phénomènes dynamiques ne sont probablement pas explicables par une narration, la forme de l’explication de la contingence est la narration théorique.
Alors que le récit a une structure sémantique particulière (état initial, complication, péripéties et chute), la narration théorique (dont le spécimen le plus connu est la théorie de Darwin sur la formation des atolls) doit simplement lier un état initial à un état final par l’intermédiaire de chaînes causales et de raisonnements. Elle est nécessaire pour expliquer tout ce qui ne se résume pas à l’analyse a priori en fonction des propriétés primitives et des lois. On peut se demander si elle n’est pas plutôt une forme de description. Si la narration explicite les liens de cause à effet, on s’interrogera si la représentation d’une série de causes est bien une explication, selon que les facteurs qui mènent à un résultat plutôt qu’à un autre sont ou ne sont pas identifiés.
Expliquer l’action sociale n’est possible que si l’on s’interroge sur le sens que celle-ci a pour l’agent et les interactants. On attribue à l’acteur des raisons à la fois selon un schéma argumentatif et selon un scénario narratif. Le sens de l’action est inscrit dans un scénario qui raconte les objectifs, les moyens mis en œuvre et les péripéties de l’exécution, ainsi que l’issue de celle-ci. Le scénario peut être suggéré par la tradition, renvoyer à un mythe, à une utopie ou reprendre un « grand récit ». À travers lui se dessinent les valeurs et les émotions des agents. Certaines séquences d’action ont une valeur exemplaire ou paradigmatique ; nous sommes censés nous y rapporter ou les répéter dans les circonstances jugées appropriées.
La narration propose une fragmentation rationnelle de l’histoire. Une action est rationnelle dans la mesure où elle a sa place dans un scénario cohérent, possible et dont les valeurs sont acceptables. L’acceptabilité axiologique de l’action fait défaut dans les théories du choix rationnel, qui n’expliquent que les actions prévues par la théorie elle-même. L’exclusion des émotions dans certaines théories de la rationalité rend celles-ci incapables d’expliquer nombre de réalités sociales. Une dimension importante de la recherche sociale serait donc de s’interroger sur la rationalité des scénarios et discours dominants qui surdéterminent les activités des sociétés actuelles : de l’art à la bureaucratie, du divertissement à la spéculation financière, ou de la publicité à la gestion. Re-conter et dé-conter de manière contrefactuelle ces narrations peut nous aider à en identifier les variables à l’œuvre, à connaître les sens dont les acteurs sociaux les investissent dans leurs pratiques, et à en imaginer de nouveaux.
Colloque international « Les Sciences sociales et la société. Nouvelles approches de la rationalité »
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