Depuis l’apparition en France du terme d’« intellectuel » au moment de l’Affaire Dreyfus, la rela-tion d’interdépendance entre intellectuels et médias a préoccupé des historiens, sociologues, poli-tistes, mais aussi nombre de chercheurs en SIC. Sans avoir accès à l’espace public via la presse écrite, l’Affaire Dreyfus n’aurait pas existé : « les défenseurs du capitaine Dreyfus n’auraient proba-blement pas rencontré un tel écho dans l’opinion au tournant de ce siècle » (Rieffel, 1992).  Certains auteurs ont remarqué, au fil du temps, une relation de double contrainte entre intellectuels et médias. D’une part, ceux-ci ont parfois menacé le statut des intellectuels ; d’autre part, ils ont représenté un canal nécessaire pour que ces intellectuels s’affirment (Charle, 1990 ; Ory&Sirinelli, 1992 ; Eck, 2003). 

D’un côté, les médias ont affaibli le statut des intellectuels (Bourdieu, 1996) en les assimi-lant à une forme de vedettariat (Rieffel, 1989), dans le cas notamment d’intellectuels devenus des professionnels de la notoriété et de la visibilité publique. De l’autre, l’émergence d’acteurs concur-rents dans l’espace public (experts, militants, représentants d’organisations, voire citoyens ordinaires qui incarnent des expériences et des problèmes sociaux) ainsi que la transformation de cet espace public (nouvelles formes de savoir et de visibilité publique, avec un rôle croissant des émotions et de l’esthétisation) s’avèrent à la fois des contraintes et des opportunités pour l’agir des intellectuels. Dans les années 1990, Rémy Rieffel a identifié la médiatisation des clercs et l’intellectualisation des journalistes comme « l’avers et le revers de la même médaille ». A cette époque, les journalistes et vedettes du show-business ont assumé une partie de la fonction d’interpellation et d’intervention dans le débat public caractérisant jusqu’alors l’intellectuel français, désormais confronté à l’étiquette de « médiatique ». 

De nos jours, la frontière symbolique entre intellectuel et journaliste devient de plus en plus fluide, avec la spectacularisation de la communication politique mais aussi du journalisme politique. Au cœur de ce processus se retrouve notamment la personnalisation saillante de la figure du journaliste, d’où la reconfiguration de son statut et de son rôle d’instance critique. Selon certains auteurs, « le rôle radical du journaliste » (Christians et alii, 2009) en tant que voix citoyenne se renforcerait au sein d’une sphère publique où les médias agissent à la fois comme des acteurs et des ressources de la construction des savoirs et des positionnements. 

En conséquence, le questionnement formulé dans les années 1970-1980 à propos des effets de la télévision sur le statut des intellectuels dans la sphère publique (voir notamment les travaux de Régis Debray) mériterait d’être renouvelé, dans un contexte où les réseaux sociaux, les blogs et les autres formes de communication en ligne constituent désormais un espace de légitimation pour les intellectuels susceptibles de s’y investir.

Pour sa 24ème édition à Bucarest, le colloque franco-roumain en SIC propose de stimuler la réflexion interdisciplinaire sur la reconfiguration du statut des intellectuels, dans un contexte de redéfinition de la sphère publique par l’apparition des nouvelles formes de débat et d’engagement en ligne, avec une place particulière accordée aux recherches relevant des SIC francophones.